La chronique de Gonzalez : Même balayé, le Leicester de Ranieri survivra à jamais
Claudio Ranieri a été démis de ses fonctions d’entraîneur de Leicester, ce jeudi soir. En mai dernier, il avait mené les Foxes vers l’un des plus grands exploits du football moderne. Il n’y a plus de justice dans ce monde de brutes …
Hier soir, je regardais avec un enthousiasme relativement modéré le seizième de finale retour de Ligue Europa entre Lyon et l’AZ Alkmaar, au Parc OL. Cette confrontation était réellement dénuée du moindre intérêt. Après le 4-1 de l’aller, le suspense n’existait plus. Tout le monde se foutait de ce match, d’ailleurs. Hormis le cadre officiel, tout laisser penser qu’il ne s’agissait que d’un vulgaire entraînement, où chacun faisait semblant d’être sérieux alors qu’il ne faisait que s’amuser en se laissant doucement rêvasser. Fekir en a profité pour réaliser une bonne performance seulement permise par le contexte mais dont les délicieux Denis Balbir et Jean-Marc Ferreri ont jugé bon de s’émoustiller sans réserve. Peu importe.
Peu importe, car, au cœur de cette soirée terne et morose lors de laquelle je n’attendais que la fin du match pour pouvoir défoncer le premier gamin venu – kevindu52 pour les intimes – sur FIFA 17 lors d’une partie en ligne, une information impromptue a soudainement fait irruption tel un bon match de Krychowiak avec le Paris Saint-Germain. Le genre de choses auxquelles on ne s’attend pas vraiment. Alors que Fekir venait juste de marquer son premier pion à l’ami Tim Krul, ma sœur a reçu une alerte sur son téléphone, qu’elle s’est empressée de me montrer. Nonchalamment, j’ai vaguement remarqué que cela parlait de Leicester. Puis, fatalement, j’ai lu la terrible annonce. Ça y est, Ranieri venait d’être viré.
A cet instant, j’ai ressenti la même sensation que lorsqu’on est poussé dans l’eau alors qu’on ne s’y attendait pas. Malheureusement pour moi, je ne m’étais pas mouillé la nuque. Une insoutenable colère a rapidement gagné mon corps et je n’ai pu retenir quelques jurons impunément assénés aux dirigeants de Leicester. C’est une honte ! Qu’ils brûlent tous en Enfer, ces profanateurs de malheur ! Ma colère passée, c’est une immense frustration qui m’a habité. C’était tellement décevant. Je ne comprenais pas. Je restais coi, dubitatif, stoïque. Pendant quelques secondes, plus rien n’avait d’importance. Comme si on avait enlevé la dernière bribe de sens qui demeurait dans ce monde délaissé par la raison.
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Ranieri, c’était le Leicester que j’aimais
Cette nouvelle m’a d’autant plus frustré que, mercredi soir, je me sentais encore totalement rallié à la cause des Foxes, captivé par leur présence en huitièmes de finale de la Ligue des Champions. Si la belle aventure avait pris fin en Premier League, le doux songe se prolongeait encore en Europe. C’est la meilleure chose que Leicester pouvait espérer. Bien sûr, les coéquipiers de Wes Morgan y sont moins forts que leurs adversaires. Bien sûr, ils y ont moins d’expérience. Mais, dans cette compétition, leur insouciance et le vent de fraîcheur qu’ils portent irrésistiblement en eux pouvaient encore s’exprimer à merveille.
Face à Séville, c’est vrai, Leicester a longtemps fait peine à voir. Sans le moindre allant offensif, résigné à défendre avec un bloc placé très bas dans leur moitié de terrain, les Renards semblaient avoir perdu toute joie de vivre, lassés d’avoir jouer les héros et décidés à rentrer fatalement dans le rang. Mais, en seconde mi-temps, s’il ne fut pas transcendant, Leicester a toutefois esquissé un léger sursaut d’orgueil. Réussissant à gratter une poignée de ballons, se projetant avec plus d’aptitudes en contre-attaques, et laissant même entrevoir quelques dribbles chaloupés de Ryad Mahrez. Et, pendant quelques instants, j’ai retrouvé le Leicester que j’aimais. Celui qui m’avait ému, rendu heureux, et, surtout, qui m’avait fait rêver.
Pourtant, d’un coup, ce jeudi soir, tout ça n’existait plus. Les dirigeants de Leicester venaient d’effacer, comme ça, sans remord, l’aventure fabuleuse et complètement insensée que le club avait vécu sous l’égide de Claudio Ranieri. Du but de Vardy au Sanchez-Pizjuan à l’annonce du limogeage du coach italien, j’ai vécu un fossé. De l’extase la plus intense au désarroi le plus profond. J’explorais alors mon fil d’actualité sur Twitter, noyé par une marée de messages de compassion à l’adresse du Tinckerman, quand j’ai vu un tweet d’un apprenti journaliste – comme moi –, Jérémy Nédélec, stipulant qu’en limogeant Ranieri, « Leicester a déchiré la dernière page de son conte de fées ».
Je me suis dit qu’il avait un peu raison. Malgré une saison bien plus morose que la précédente – et c’est un euphémisme –, Ranieri restait, en quelque sorte, la dernière figure de la réussite de Leicester. Peu importe qu’ils soient 17èmes de Premier League, car Ranieri était toujours là. La magie pouvait se perpétuer en Champion’s League, car Ranieri était toujours là. Envers et contre tout, Ranieri, lui, était toujours là. Et c’est probablement le meilleur gage de stabilité sur lequel pouvaient se reposer les Foxes.
Lorsque Ranieri avait signé son contrat, en juillet 2016, le propriétaire de Leicester lui avait demandé s’il resterait en cas de relégation. Le Mister, plein d’humilité, avait accepté de garder le navire en main, qu’importe les vents et les marées, même s’il fallait assurer la remontée depuis le Championship. Un an et demi plus tard, Ranieri a été poussé devant le tribunal car les choses sont revenues à la normal. La raison initiale pour laquelle on l’avait fait venir – à savoir jouer le maintien, purement et simplement – est aujourd’hui devenu l’objet de l’accusation, et, depuis hier, de la condamnation. Le football a vraiment la mémoire courte.
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Celle-là, vous ne lui enlèverez pas
Bien sûr, ce n’est pas le limogeage de Ranieri qui nous apprend la cruauté impitoyable du monde du ballon rond. Nous étions déjà au courant. Mais, pourtant, cette nouvelle démonstration nous semble un peu plus douloureuse que les précédentes. Parce que, au plus profond de nous, nous aimons tous les contes de fées. L’épopée fantastique de Leicester nous a arraché à la monotonie du quotidien en nous faisant voyager dans des sphères que nous n’aurions jamais osé explorer.
Toutefois, le limogeage de Ranieri nous touche peut-être un peu plus, aussi, parce qu’il s’agit précisément de Ranieri. Longtemps, il n’a été que ce type sympa, bienveillant qu’on considérait gentiment comme un éternel perdant. Le Tinckerman semblait pourtant avoir pris sa revanche en trônant au sommet du championnat le plus compétitif du monde, en mai dernier. Mais, aujourd’hui, alors qu’il vient juste d’accomplir le plus beau parcours de sa vie, il se retrouve à nouveau propulsé dans l’abîme, comme un malpropre. Irrémédiablement, Ranieri semble faire face à son éternel karma.
Je voudrais par ailleurs revenir sur une de mes anciennes chroniques, datant d’il y a quelques semaines. J’écrivais alors, en parlant du sacre de Leicester : « face à un tel spectacle, il n’y a plus d’objectivité qui tienne. On s’en fout complètement. C’est tellement dérisoire le football, c’est tellement futile. Dans cette atmosphère oppressante où l’argent fait loi, la vaste traversée onirique que nous ont offert les Foxes est un cadeau inestimable. L’ensemble de la sphère footballistique s’est rangée derrière la cause du 17ème budget de Premier League, car les émotions qu’il nous a transmises ont rendu à ce sport, le temps d’une saison, son amour lyrique et sa poésie perdue. Tout ce qui fait son irrésistible attrait ».
En fait, ce n’est pas vraiment Leicester qui a accompli tout cela. Car, en réalité, ce Leicester, c’est Claudio Ranieri qui l’avait bâti. Sir Alex Ferguson disait : « Donnez-moi 10 bouts de bois et Zinédine Zidane et je gagnerais la Ligue des champions ». Ranieri, lui, n’a même pas eu besoin de Zizou pour remporter la Premier League – pour ce qui est de la C1, désormais, nous ne le saurons jamais. Je n’irai pas jusqu’à dire que le technicien italien disposait uniquement de bûcherons au sein de son effectif. Jamie Vardy et Ryad Mahrez ont réalisé une saison exceptionnelle pendant que Ngolo Kanté devenait le meilleur ratisseur du Royaume. C’est vrai. Reste que, toute cette aventure, c’était avant tout l’œuvre de Ranieri.
Mais, plus qu’une magnifique aventure, la troupe de Ranieri, à travers ce fabuleux dessein collectif, nous a laissé entrevoir l’essence de ce sport magnifique qu’est le football. Le Leicester de Ranieri, c’est le pourquoi du football. Et, je dirais même plus, c’est le pourquoi de nos existences. Si nous vivons, c’est pour pouvoir s’identifier à des aventures humaines pareilles à celles du Leicester de Ranieri, et comme très peu d’autres en existent. Tout simplement, Ranieri a donné du sens à nos mornes existences.
En se sublimant, le Renard apprivoisé par Ranieri s’est approché de la quintessence du football. Et ça, c’est le genre de performances qu’on ne peut, quoiqu’il arrive, jamais parvenir à effacer. Dans ma chronique, j’avais également noté : « Aujourd’hui, la belle histoire a pris fin mais l’aventure demeurera à jamais. La rareté donne sa beauté aux choses et il est très peu probable que nous revoyons un Leicester avant de très longues années. Les Foxes auront prouvé, à leur façon, que nul désir ne peut souffrir du fatalisme. Leur périple rappelle qu’au milieu de la contingence frivole des possibles s’offrant à nous, l’hypothèse la moins probable n’est pas pour autant la moins réalisable. Leicester City est une de ces équipes que l’Histoire retiendra ».
Je disais plus tôt, en citant mon compère Jérémy Nédélec, que Leicester, en limogeant Ranieri, avait peut-être déchiré la dernière page de son conte de fées. En réalité, je pense que l’aventure ne prendra jamais vraiment fin. Ranieri a laissé pour l’éternité son empreinte sur Leicester et sur le monde de football, et, désormais, plus jamais il ne pourra être considéré comme un perdant. Je le dis à tout le monde : Ranieri a beau avoir été viré, cette aventure de Leicester, c’est la sienne, et celle-là, vous ne lui enlèverez pas. Même balayé, le Leicester de Ranieri survivra à jamais. Et si par malheur quiconque voulait s’en débarrasser, je suis sûr qu’un formidable maestro italien, fort d’une figure paternaliste comme peu d’autres en existent, continuera, son Histoire entre les mains, de raconter, au coin du feu, la formidable épopée qu’il a su mener à son apogée.